Les rayons cosmiques véhiculent des particules très énergétiques, susceptibles de brouiller les systèmes informatiques des avions évoluant à haute altitude. Cette menace est-elle suffisamment prise en compte ?
par Germain CHAMBOST
De plus en plus dépendants des systèmes informatiques, les avions seraient aussi plus sensibles aux « agressions » qu'ils subissent de la part des rayons cosmiques. Ceux-ci proviennent, pense-t-on, des ondes de choc liées à l'explosion des supernovae ; leurs énergies, bien supérieures à celle des particules émises lors des éruptions solaires, peuvent atteindre le milliard d'électronvolts (1). Et les constructeurs ne sont sans doute pas assez conscients du risque qui résulte de ces électrons et de ces protons fonçant à la vitesse de la lumière, que nul blindage ne peut arrêter.
Telle est du moins l'opinion du professeur Clive Dyer, responsable des études sur les effets des radiations à l'Agence britannique pour la recherche et l'évaluation dans le secteur de la Défense (DERA : Defence evaluation and resarch agency).
Il explique qu'à haute altitude, les rayons cosmiques peuvent être cent fois plus puissants qu'à basse altitude ou au niveau du sol, car ils n'y sont pas atténués par l'atmosphère terrestre. Du coup, souligne-t-il, les essais effectués en laboratoire sur les systèmes informatiques embarqués ne sont sans doute pas assez représentatifs de ce qui se passe lorsque les avions volent entre 30 000 et 60 000 pieds (autour de 9 000 à 11 000 mètres).
Les avions modernes utilisent des dizaines, parfois des centaines de micro-calculateurs. Exemple le plus frappant : celui des commandes de vol électriques. Les « ordres » donnés par le pilote de l'avion ne sont plus transmis aux gouvernes par des câbles et des tringleries métalliques, comme par le passé, mais par des impulsions électriques. Celles-ci sont contrôlées par des calculateurs, ce qui permet d'éviter toute « sortie » de ce que l'on appelle le domaine de vol - vitesses à respecter, accélérations à ne pas dépasser, dosage des mouvements - et accroît la sécurité. Plutôt qu'un ordre, le pilote exprime une « intention », examinée par le calculateur en fonction des données relatives aux possibilités de l'avion stockées dans sa mémoire. L'exécution des commandes se fait de manière optimale, avec, à la clé, des économies de carburant. Le gain de poids par rapport à un système de commandes classique est important, et la maintenance plus aisée.
Les moteurs et les équipements comme le train d'atterrissage ou les volets sont aujourd'hui contrôlés selon le même principe, de même que les systèmes de navigation. Dans les avions modernes, tout - ou presque - repose sur l'informatique.
Or, souligne encore Clive Dyer, celle-ci est devenue plus sensible aux rayons cosmiques. En effet, les puces électroniques sont toujours plus petites, alors que davantage d'informations sont stockées ou transitent par elles. Un composant occupant un millimètre carré recèle des dizaines de milliers de puces. La miniaturisation est de règle et, par souci d'économie, on utilise des courants électriques d'intensité sans cesse plus faible pour effectuer une multitude de tâches en consommant un minimum d'énergie. En perturbant les courants faibles, les électrons des rayons cosmiques peuvent modifier des informations élémentaires numérisées en une suite de 0 et de 1.
Gestion informatique des fonctions de vol : les données circulent dans les puces des micro-calculateurs sous forme de courants faibles et sont traduites en séries de 0 et de 1. Les électrons cosmiques peuvent altérer ces données.
Responsable du département Systèmes de la société Aérospatiale à Toulouse (impliquée dans le montage des Airbus : notamment chargée des postes de pilotage et des commandes de vol), Jean-Pierre Laborit ne nie pas ce risque. Mais il en relativise les conséquences, et refuse tout catastrophisme. Le problème est pris en compte dès la conception d'un système, note-t-il. Et cela ne date pas d'hier. Ainsi, des détecteurs de radiations sont installés à bord du Concorde, qui vole vers 20 000 mètres. Si la dose reçue est trop forte, l'avion descend à une altitude où l'atmosphère le protégera.
Par ailleurs, pour pallier les risques de panne, l'architecture de chaque système est établie avec redondance (doublement, voire triplement) des circuits ou des éléments de circuit. Jamais une fonction qui concerne peu ou prou la sécurité n'est assurée par un seul circuit.
Même philosophie chez Boeing, grand rival d'Airbus. Selon Eugene Normand, patron du Laboratoire de recherche sur les effets des radiations à Seattle (Etat de Washington), les logiciels des systèmes informatiques de vol sont conçus pour pallier les effets des pannes. Ils s'autosurveillent et s'autocorrigent. La technique doit pouvoir surmonter ses propres faiblesses. Y compris lorsqu'il s'agit de faire face aux dangers venus de l'espace. A ce jour, d'ailleurs, aucune panne qui puisse être attribuée aux effets néfastes des rayons cosmiques sur un avion n'a pu être mise en évidence. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas l'envisager...
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(1) A lire :le Soleil, de Pierre Lantos, PUF, «Que sais-je ?».