Je ne t'ai jamais dit, homme de peu de foi,
Que j'étais éternel et surtout infaillible,
Je ne t'ai pas confié que je serai à toi
Jusqu'à ce qu'un beau jour on me prenne pour cible,
Non, ne te méprends pas, n'écoute pas les loups
Qui viennent en rôdant exhumer la tristesse,
Se repaître d'images et de vos regards flous,
Ne prête pas l'oreille aux voix de cette presse...
Homme, ne juge pas ce que tu as aimé,
Ne me rejette pas avec intransigeance
Après m'avoir chéri. Le sort en est jeté :
On n'est dur que pour soi et pour sa propre engeance...
Tu m'as créé, construit, patiemment, sûr de toi.
Tu voulais un vaisseau de si belle importance,
Un jouet merveilleux de technique, et qui soit
L'exemple du pays, l'emblème de la France.
Tu as drapé mon corps de ses plus beaux atours,
Tu m'as donné un nom pour rassembler les hommes.
Ceux que j'ai emmenés s'en souviennent toujours
Et portent dans leur cœur la marque des surhommes.
Même si quelques fois au gré de mes missions
Tu as dû échanger certains de mes organes,
Modifier dans mon corps différentes fonctions,
Jamais tu n'as subi de ma part une panne,
Jamais je n'ai trahi l'homme et son devenir.
Je savais voler loin, je savais voler vite,
Tu me faisais confiance et tu savais agir
Sur mes muscles d'acier et tout ce qui m'habite.
Tu garderas de moi des souvenirs vibrants
De mon souffle puissant, provocant, qui résonne,
Et tu conserveras cet appel déchirant
Quand j'arrachais du sol mes cent quatre vingt tonnes...
Alors tu pleureras, les yeux levés aux cieux
Car tu ne verras plus la marque du sillage
Que je laissais au vent pour décorer les lieux
Où je passais parfois... Mais le plus grand dommage
Que tu me fais, humain, est d'avoir pris ma main
Que tu lâches aujourd'hui, me laissant au passage
Un goût de métal froid et de regret certain.
Pourtant tu me disais : « tu ne fais pas ton âge !... »
Philippe Espérandieu
23 Août 2000
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