L'oiseau et les hommes - Philippe Espérandieu - 6 août 2000

L'oiseau et les hommes


Ils partaient, conquérants d'éther et de soleil,
Les yeux toujours brillants aux étoiles pareils,
S'appuyant sur les vents pour en faire une route,
Bienveillants, attentifs, de l'avant jusqu'aux soutes.

C'étaient des chevaliers, nobles et généreux,
Dans leur grand vaisseau blanc qui écourtait les cieux ;
Accueillants, rassurants, avec un beau sourire,
Ils rapprochaient les terres et ça les faisait rire...

Leur vaisseau ? Un oiseau, du plus blanc, du plus pur
Que l'homme ait façonné, un rêve des plus sûrs
Dans l'imagination à jamais si fertile
Qui voyait s'envoler le plus sauf des asiles.

Des mortels sans compter prenaient du temps au temps
Pour sans cesse chérir l'oiseau au fil des ans,
Chacun savait sa place et chacun savait faire
Comme pour son enfant les gestes salutaires.

Car il devait voler, ce vaisseau de métal,
Franchir toutes les mers dans un bruit infernal ;
Pourtant c'est vers le ciel que son beau fuselage
Se dressait, orgueilleux, en froissant les nuages.

Aussi, jour après jour, toute l'humanité
Qui cajolait ses flancs pouvait se rassurer :
Ceux qui feraient voler dans un cri de victoire
L'oiseau fier et vibrant concouraient à sa gloire !

Capable d'arriver avant d'être parti,
Le vaisseau immortel se savait endurci.
On lui avait donné un nom bien à sa place,
On l'avait baptisé pour qu'il frôle l'espace.

Et c'était chaque jour un moment de fierté
Que d'assister, ému, à l'envol familier ;
La caresse de l'air donnait à sa voilure
Qui s'arrachait du sol une habile cambrure !

Il partait, revenait ; on le voyait souvent
Taquiner de son bec les lointains continents.
Parfois, pour son orgueil, c'était le tour du monde,
Mais c'était enfantin puisque la Terre est ronde...

Je l'ai vu, comme vous, s'élever dans les cieux,
J'ai aimé, comme vous, son voilage audacieux,
Jamais je n'aurais cru qu'un jour le sort se fâche
Sur cette nef du ciel aux si belles attaches...

Ils partaient, revenaient, mais il en manque neuf.
Je suis triste ce soir, mon cœur est un peu veuf :
La souffrance des uns naît d'absence des autres,
Et l'on n'est jamais soi quand on n'est pas un autre...

Philippe Espérandieu

6 Août 2000