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Les ingénieurs et les ouvriers avaient attendu de nombreuses années, les journalistes pouvaient attendre quelques jours... Du 28 février au 2 mars 1969, un suspense s'établit à Toulouse, ponctué par des conférences de presse venant entretenir la patience des quelque 500 journalistes, photographes, cinéastes, chroniqueurs venus pour assister à l'événement. On devait compter, en fait, des milliers de spectateurs supplémentaires maintenus péniblement en dehors des limites du terrain par un cordon de mille gendarmes et policiers.
L'avion était prêt. Le beau temps n'était pas au rendez-vous. Il se fit attendre trois jours. Au matin du 2 mars, un brouillard épais recouvrait l'aéroport et la région toulousaine. Les voiles se déchirèrent à l'heure du déjeuner, sous l'action du vent d'Autan. Le brouillard évanoui, on craignit le vent, « Concorde » devant nécessairement décoller vers le nord-ouest, soit dos à la ville de Toulouse et face à la barrière d'arrêt, ce maudit vent arrière ne pouvait dépasser 8 noeuds sans provoquer l'annulation de l'essai. En fait, Turcat décollera l'avion sous un vent de 10 noeuds.
A bord depuis longtemps, André Turcat, pilote, flanqué de Jacques Guignard, co-pilote, se trouvait à l'avant. Dans la cabine transformée en salle électronique bourrée de calculateurs, enregistreurs et autres boîtes noires, on avait trouvé la place pour Henri Perrier, ingénieur d'essais navigant et Michel Rétif, mécanicien d'essais navigant.
L'avion pesait 113,5 tonnes à la mise en route. Il n'afficha plus que 110 tonnes à 15 h 40, lorsque ses roues quittèrent le sol en un décollage franc comme l'or. L'essor n'avait demandé que 1500 des 3500 m de la piste et le tout s'était passé en 23 secondes. Parvenu à 325 km/h, l'appareil se cabra de 10° et s'élança.
Le vol dura 28 minutes et « Concorde », pour sa première sortie, atteignit une altitude maximale de 2800 mètres. Sa vitesse oscilla entre 315 et 540 km/h, l'équipage voulant expérimenter les qualités de vol aux basses vitesses et préfigurer en vol les conditions d'atterrissage. André Turcat alla même jusqu'à réduire à fond un des quatre réacteurs. À aucun moment du vol, l'avion ne fut perdu de vue des journalistes installés sur une estrade astucieusement disposée en hauteur et à proximité de la piste d'envol. L'atterrissage eut lieu à 16 h 08 et l'avion pesait alors 98,5 tonnes, soit le poids auquel se présentera, dans quelques années, un « Concorde » venant de New York et se posant à Paris. En tout, 15 tonnes de combustible avaient été consommées dans cette demi-heure. « Concorde » fut suivi constamment par l'avion d'accompagnement, un AW "Meteor" du CEV piloté par le commandant Deferre et par l'avion emportant les cameramen de la télévision, un MS-760 « Paris » II piloté par Jean Dabos. Ce vol mémorable fut suivi par des milliers d'yeux. Sur les terrains de sports survolés, de près ou de loin, les arbitres interrompirent les matches en cours, mais Turcat et son équipage ne purent entendre Ies applaudissements des spectateurs. À sa descente d'avion, Turcat déclara simplement : « La machine vole bien ». Cette première n'est qu'un début, Il y aura encore des milliers de représentations dans le grand décor du ciel, un ciel qui s'étendra progressivement de la côte nord du Portugal à la côte sud anglaise. Si 28 minutes ont déjà été « mangées » par le premier vol, c'est près de 4.500 heures de vol qui seront nécessaires avant d'atteindre à la certification. Terminons en soulignant l'excellente organisation de ce premier vol public et en remerciant Sud Aviation et son service des Relations extérieures dont l'efficacité fut parfaite.