Science & Vie N°922, Juillet 1994 : Les avions crèvent la couche d'ozone

Les avions crèvent la couche d'ozone

Va-t-on interdire les vols réguliers dans la stratosphère - cette partie de l'atmosphère située entre 10 km et 50 km d'altitude - afin d'éviter l'amincissement de la couche d'ozone ? La question paraît surprenante, mais elle est pourtant au centre du débat qui anime les spécialistes de la chimie de l'atmosphère. Zoom avant sur les criminels : Boeing 747, Antonov et autres jumbo-jets injectent dans la stratosphère des tonnes d'oxydes d'azote (NO, NO2) et de vapeur d'eau (H2O), molécules qui favorisent la formation des nuages stratosphériques entre 20 et 30 kilomètres d'altitude. Or, ces formidables nappes, de 10 à 100 km de long et de plusieurs kilomètres d'épaisseur, sont des mangeuses d'ozone (voir Science & Vie n° 892 et n° 911). La preuve, avancent les scientifiques, le corridor aérien le plus dynamique au monde, qui relie l'Europe du Nord à l'Amérique, présente les concentrations en oxydes d'azote les plus élevées du monde (voir carte) et affichait l'hiver dernier une réduction d'ozone de l'ordre de 25 %.

De tout temps, les compagnies aériennes ont essayé d'établir les plans de vol les plus rentables possibles. Et c'est dans la stratosphère qu'elles les trouvent, là où la consommation de kérosène est minimale. Aujourd'hui, 50 % du kérosène mondial est brûlé dans cette tranche de ciel, et ce chiffre atteint 75 % pour le couloir atlantique nord. Emettant 80 000 tonnes de vapeur d'eau par an dans l'hémisphère nord, le trafic aérien a augmenté de 10 %, en trente ans, la quantité naturelle de vapeur d'eau dans la stratosphère. Une atteinte à l'environnement insupportable, selon les scientifiques réunis en Allemagne en mai dernier, qui ont évoqué pour la première fois l'idée que l'on puisse interdire la navigation aérienne dans la stratosphère pour protéger l'ozone. Robert Sausen, de l'institut de l'air et de l'espace du gouvernement allemand, a même déclaré à notre confrère New Scientist (1) : « D'ici cinq ans, je pense que nous pourrons dessiner des itinéraires de vol qui éviteront les émissions dans la stratosphère. »

« Personne n'a encore de réponse, mais nous allons étudier les différents itinéraires pour savoir si les vols se feront au-dessus ou au-dessous de la tropopause ; c'est le problème le plus important », déclare également Ann Thomson, qui dirige à la NASA l'étude sur les conséquences des émissions subsoniques de la navigation aérienne. Déjà, Jouke Peper, du laboratoire allemand de l'espace, s'aventure à faire quelques pronostics : « En établissant un plafond à 10,5 km au-dessus de l'Atlantique nord, on réduirait les émissions dans la stratosphère de 10 % ; à 9 km, on les réduirait de 40 % et, en dessous de 5,5 km, on éliminerait toute pollution dans la stratosphère. » L'affaire n'est pourtant pas aussi simple... Car, si les NO émis au-delà de 10 kilomètres d'altitude (dans la stratosphère) attaquent l'ozone, plus bas (dans la troposphère), ces mêmes oxydes d'azote se transforment en ozone (un puissant oxydant) par photo-oxydation ! Que faire ? D'aucuns demandent la mise en place d'une taxe internationale sur le kérosène pour diminuer l'augmentation du trafic aérien, tout en déplaçant le transport de passagers vers d'autres formes de transport (le train, par exemple. Voir « Chemin de fer ). D'autres, plus critiques, estiment qu'on assiste à un » remake « de l'épisode du Concorde à la fin des années soixante. A l'époque, certains scientifiques et écologistes s'étaient acharnés sur l'avion supersonique européen en arguant justement des dangers qu'il faisait peser sur la couche d'ozone.

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(1) » Saving Ozone With a No-go Zone «, New Scientist, avril 1994.

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