Science & Vie N°874, Juillet 1990 : Le fils de Concorde et d'Hermès

Le fils de Concorde et d'Hermès

Grâce aux études menées conjointement par les avionneurs et les motoristes, les appareils de transport du début du siècle prochain décolleront et se poseront comme les avions, mais évolueront sur orbite comme une navette spatiale, rassemblant ainsi les avantages de Concorde et d'Hermès, pour relier Londres à Syndey en moins de deux heures. Les moteurs de ces nouveaux véhicules sont déjà à l'étude.
par Serge BROSSELIN

L'imagination des constructeurs et des motoristes du secteur aérospatial est particulièrement féconde en cette fin du siècle. Dans un peu plus d'une dizaine d'années, c'est un « moteur à cycle variable », ou MCV (1), qui devrait assurer la propulsion des avions supersoniques de la deuxième génération, dont la vitesse de croisière pourrait être de Mach 2,5. Ce moteur en est encore au stade des études préliminaires que déjà un autre concept, le « moteur combiné », fait l'objet de recherches, confidentielles le plus souvent, dans les bureaux d'études des plus grands motoristes.p>

Si les MCV sont destinés à équiper des appareils dont la vitesse devrait être d'environ Mach 2,5, le moteur combiné concernera des véhicules évoluant entre Mach 2,5 et... Mach 25 ! Autrement dit, le champ d'application de ce nouveau concept s'étend de l'avion de transport supersonique futur (ATSF), étudié par l'Aérospatiale et la SNECMA, jusqu'aux futures navettes spatiales à décollage et à atterrissage horizontaux, capables d'atteindre des orbites basses.

Deux moteurs en un. Dans le domaine aérospatial, il existe aujourd'hui deux grandes familles de moteurs. La première regroupe les moteurs atmosphériques, dits « aérobies », qui utilisent l'oxygène de l'air pour brûler leur carburant. L'utilisation des moteurs de ce type est limitée en altitude parce que l'oxygène - qui fait office de comburant - se raréfie dès que les hautes couches de l'atmosphère sont abordées. En revanche, la deuxième famille de moteurs, les moteurs fusée ou « anaérobies », ne connaît pas de limites en altitude. En effet, les véhicules propulsés par des moteurs anaérobies (missiles, fusée Ariane, navettes spatiales américaines et soviétiques, par exemple) emportent non seulement leur carburant (hydrogène liquide, par exemple), mais aussi leur comburant (oxygène liquide) pour pouvoir atteindre leur orbite spatiale.

Le concept de moteur combiné consiste donc à disposer d'un moteur aérobie et d'un moteur anaérobie en un seul et même ensemble propulsif (2). Doté d'un tel ensemble, un véhicule serait alors capable de décoller à partir de la piste d'un aéroport, comme un avion de ligne traditionnel. Dès que les limites de l'atmosphère terrestre seraient atteintes, la fonction moteur fusée (anaérobie) prendrait le relais de la fonction moteur atmosphérique (aérobie), permettant ainsi à l'avion traditionnel de se transformer en une navette spatiale capable d'atteindre et de naviguer sur une orbite basse.p>

Par rapport aux navettes actuelles, qui sont mises sur orbite par des moteurs exclusivement anaérobies, une telle formule présente d'abord un avantage opérationnel. En effet, l'avion spatial serait utilisé avec la même flexibilité qu'un avion de ligne. Il pourrait être utilisé pour transporter des passagers d'un point à l'autre du globe, mais aussi pour transporter des charges ou du personnel vers des stations orbitales. Il en résulterait inévitablement des économies considérables par rapport aux coûts d'exploitation des navettes spatiales traditionnelles.

La barrière Mach-température. Le concept et les applications du moteur combiné ainsi définis, leur développement pratique soulève des problèmes que la recherche appliquée n'est pas encore parvenue à résoudre. En Europe, les études menées par la plupart des motoristes ne parviennent pas à résoudre les problèmes thermiques et physico-chimiques propres à la partie « aérobie » des moteurs dont devraient être dotés les futurs avions spatiaux. En effet, il existe actuellement dans le domaine de la propulsion hypersonique aérobie une frontière située aux environs de Mach 6-7. En dessous de cette vitesse, l'écoulement du mélange carburant-comburant à l'intérieur de la chambre de combustion d'un moteur serait subsonique (de l'ordre de Mach 0,4). Mais pour qu'un avion puisse dépasser cette barrière de Mach 6-7, il faudrait que l'écoulement du mélange carburant-comburant à l'intérieur de la chambre de combustion du moteur puisse s'effectuer à une vitesse supersonique, voire hypersonique.

« Dès que la vitesse de Mach 6-7 est franchie, explique Philippe Ramette, attaché au directeur technique de la SEP (Société européenne de propulsion, qui fabrique notamment les moteurs d'Ariane), la combustion entre dans une phase de transition ou la vitesse d'écoulement dans la chambre va brusquement se mettre à monter, jusqu'à atteindre Mach 3,2 environ. Par la suite, la progression de la vitesse de combustion va se stabiliser et évoluer de façon linéaire en fonction de la vitesse de déplacement du véhicule ». Les chercheurs estiment que la vitesse d'écoulement hypersonique du mélange carburant-comburant dans la chambre de combustion d'un moteur combiné serait d'environ 40 % de la vitesse du véhicule. Par exemple, si le véhicule se déplace à Mach 15, la vitesse de combustion sera de Mach 6.p>

Donc, plus un moteur fonctionne à un régime élevé, plus la température régnant dans sa chambre de combustion augmente. Or, les matériaux actuellement utilisés ne peuvent guère supporter des températures supérieures à 1850°K (1577°C). De plus, à partir de 2000°K (1727°C), il se produit une dégradation du carburant - par dissociation des molécules d'hydrogène gazéifié - qui pourrait détériorer le moteur, ou, dans le meilleur des cas, altérer sérieusement son rendement et ses performances (3). Tant que les chercheurs ne parviendront pas à résoudre ce problème, soit par la découverte de nouveaux matériaux, soit par la mise au point d'un nouveau carburant supportant des températures supérieures à 2000°K, il ne sera pas possible de mettre au point un moteur combiné. Car, comme le souligne Philippe Ramette, la combustion super-hypersonique est la seule alternative envisageable à la propulsion fusée.

Une solution transitoire. Ce sont ces obstacles thermiques et physico-chimiques auxquels se heurte encore la recherche qui poussent une grande partie des bureaux d'études à travailler, dans un premier temps, sur un avion spatial à deux étages, à l'image des projets français STSW 2000 et STARH, ou du concept allemand Sanger 2. Dans cette configuration, il n'y aurait pas de moteur combiné : le premier étage serait équipé de moteurs aérobies qui seraient utilisés comme de simples accélérateurs jusqu'à une altitude de l'ordre de 30-35000m. A cette altitude, le deuxième étage qui emporterait la charge marchande (fret ou passagers) se séparait du premier. Doté de propulseurs anaérobies, il pourrait accélérer jusqu'à Mach 25 pour rejoindre son orbite.

En considérant les performances requises pour le type de moteur aérobie dont serait doté ce véhicule, il est légitime de se demander si le développement d'un seul et même moteur pour propulser non seulement le premier étage de cet appareil, mais aussi des avions de transport hypersoniques comme l'AGV (avion à grande vitesse) de l'Aerospatiale est possible.p>

Pour Jean Dardare, directeur technique de la SEP, l'idée d'un développement commun est séduisante, d'autant plus qu'elle peut accélérer les décisions officielles de lancement de certains programmes. Cependant, comme le souligne M. Dardare, un avion de transport hypersonique et un véhicule spatial bi-étage auront des profils de vol très différents. Les propulseurs respectifs de ces appareils n'évolueront donc pas dans des conditions et des environnements identiques. En effet, le rôle essentiel du premier étage du véhicule spatial est d'être un accélérateur. De ce fait, sa durée d'exposition aux très hautes températures (dues à l'échauffement cinétique sur les particules d'air) ne devrait pas excéder huit minutes entre le décollage et le largage du deuxième étage dans les hautes couches de l'atmosphère terrestre. Par conséquent, les problèmes de refroidissement des composantes du premier étage et de son ensemble propulsif à des vitesses comprises entre Mach 4 et Mach 6 n'ont pas une acuité particulière.

Il en est tout autrement dans le cas d'un avion de ligne hypersonique, dont le vol de plusieurs heures se déroule uniquement dans l'atmosphère terrestre. Jean Dardare estime qu'il y aura certainement des similitudes pour ce qui est du cycle thermodynamique (poussée, température et pression à l'intérieur de la chambre de combustion, taux de compression de l'air, etc.), mais que les matériaux thermostructuraux utilisés pour la construction des moteurs de l'avion hypersonique et pour ceux du propulseur du véhicule spatial seront différents.

Londres-Sydney en deux heures. Outre-Atlantique, le très ambitieux programme NASP (National Air and Space Program) pourrait laisser supposer que les chercheurs américains se sont affranchis des contraintes thermiques et physicochimiques qui empêchent les bureaux d'études du Vieux Continent d'envisager raisonnablement un moteur combiné pour propulser un véhicule spatial mono-étage du lâcher des freins à Mach 25. Le programme NASP prévoit le développement, à partir du X-30, véhicule expérimental (actuellement à l'étude et qui est destiné à valider les choix technologiques), un avion militaire de reconnaissance, un avion de transport hypersonique transatmosphérique du style Orient-Express (annoncé par Ronald Reagan alors qu'il était président des Etats-Unis), mais aussi un lanceur spatial mono-étage.p>

Cependant, le secret qui entoure le déroulement de ces projets ne permet pas de savoir quand ils déboucheront sur le développement d'un prototype. Il est possible que les bureaux d'études américains aient décidé de sauter l'étape intermédiaire, c'est-à-dire un véhicule spatial lourd bi-étage -, préférant travailler sur la base du très long terme. On pourrait comprendre un tel choix dans la mesure ou ils ont déjà leurs navettes spatiales. Et qu'ils ont également, pour les charges plus modestes, le programme Pegasus (4), qui pourrait être assimilé au concept bi-étage puisqu'il consiste à utiliser un B-52 pour larguer à haute altitude un missile contenant un satellite léger qu'il amènera sur orbite.

Le projet d'avion de transport hypersonique transatmosphérique envisageable dans le cadre du programme NASP, qui emmènerait des passagers de Paris à Sydney en moins de deux heures, serait donc doté de moteurs combinés. Son vol se décomposerait en quatre phases distinctes. La phase d'accélération « basse vitesse » (c'est l'expression consacrée des motoristes) va du lâcher des freins à Mach 3. Lors de cette phase, les moteurs combinés fusée-statoréacteur fonctionneraient en mode anaérobie (fusée), amenant le véhicule à une altitude d'environ 15000m. Dès que la vitesse de Mach 3 est atteinte, la deuxième phase du vol est entamée par l'allumage du mode statoréacteur qui se substitue aux accélérateurs utilisés pour le décollage (5). Pendant toute cette deuxième phase, dite de « bas hypersonique », qui s'achève à la vitesse de Mach 6 et à une altitude d'environ 30000m, l'écoulement de la combustion reste subsonique. Ces deux premières phases du vol de l'avion mono-étage à moteur combiné remplissent ainsi le même rôle que le vol du premier étage d'un véhicule bi-étage tel qu'il a été défini plus haut.

C'est donc au niveau de la troisième phase de leur vol que les projets américains se distinguent très nettement des études européennes. Au cours de cette phase, le moteur combiné américain doit pouvoir amener l'avion aux environs de Mach 15-18 à quelque 50000m d'altitude. L'Orient-Express est étudié pour évoluer à une altitude comprise, en effet, entre 30000 et 50000m, quoique à une vitesse légèrement inférieure (de l'ordre de Mach 8 ou 10, aux dernières nouvelles). Comme nous l'avons vu un tel objectif exige donc de résoudre les problèmes thermiques et physico-chimiques posés par un écoulement du mélange comburant-carburant à une vitesse supersonique dans la chambre de combustion du moteur.p>

Il convient de noter que le moteur de l'Orient-Express fonctionnerait en mode statoréacteur, donc régime aérobie, au cours de cette troisième phase. L'intérêt de conserver le plus longtemps possible un régime aérobie pour un moteur combiné tient au gain de charge marchande offert par ce choix. En effet, l'utilisation optimale du régime aérobie permet de limiter l'emport du comburant pour le régime anaérobie. Il est donc possible d'embarquer une charge payante (passagers ou fret) égale à la masse de comburant ainsi économisée. De plus, les coûts d'exploitation d'un moteur combiné en mode aérobie sont inférieurs à ceux du mode anaérobie.

Enfin, au cours de la quatrième phase, le véhicule atteindra Mach 25 et 50000m. C'est à cette vitesse et cette altitude qu'il continuera son voyage jusqu'à arriver en approche de son aéroport de destination. (Dans le cas d'un engin orbital, cette vitesse lui permettra de s'inscrire sur orbite pour desservir une station spatiale.) Au cours de cette quatrième phase, le moteur combiné fonctionnera en régime anaérobie, c'est-à-dire comme un moteur fusée, le comburant embarqué (oxygène liquide) permettant la combustion du carburant (hydrogène liquide).

« Quand on observe le profil de trajectoire de ces mono-étages (américains), remarque Jean Dardare, on constate que jusqu'à l'altitude de 50000m ils sont extrêmement aplatis. En fait il s'agit, en utilisant le plus possible la portance de l'air de l'atmosphère terrestre, d'économiser du carburant ». En plus, poursuit M. Dardare, ce profil de vol permet de constituer une réserve d'énergie cinétique qui pourra être transformée en énergie potentielle durant la quatrième phase du vol qui débute à 50000m d'altitude. Durant cette phase, lorsque la destination est une station spatiale, la trajectoire de l'avion devient nettement plus verticale. L'énergie cinétique acquise dans l'atmosphère terrestre associée à la poussée du moteur combiné qui fonctionne alors en régime anaérobie (moteur fusée) permet donc au véhicule d'atteindre l'orbite choisi pour la mission en exigeant une consomation moindre de l'énergie embarquée (carburant comburant).p>

Les premières orientations. Les profils de vol et l'exploitation des véhicules mono et bi-étages étant différents, il est évident que leur motorisation ne sera pas identique. Pour équiper un véhicule à deux étages, les chercheurs du Centre nationale d'études spatiales (CNES), de la SNECMA, de la SEP et de l'ONERA privilégient aujourd'hui deux types de moteurs.Le premier est le moteur dit turbo-expander-stato, qui offrirait un excellent rendement à grande vitesse, mais qui risquerait d'être lourd et complexe à réaliser. Le deuxième moteur envisagé par les cherchers français est un « turbofusée-stato-fusée ». Ce type de moteur combiné semble être celui qui intéresse le plus les chercheurs français actuellement. En effet, une première expérience (à l'échelle 1/10) aura lieu dans les locaux de l'ONERA (6) au cours de l'automne prochaine afin de démontrer la validité du principe d'un ensemble propulsif « fusée-stato ».

Pour les lanceurs mono-étage, l'ensemble généralement considéré comme étant le plus prometteur serait le combiné « fusée-stato-fusée ». Deux autres consepts de moteurs combinés sont également envisageables pour la propulsion d'un véhicule mono-étage : la fusée à air réfroidi ou liquéfié, dont pourrait s'inspirer le projet britanique Satan et le « turbo-expander-stato-fusée ».

Les appareils dotés de moteur combinés devraient avoir un rapport masse/poussée d'environ 0,7. Dans la mesure ou la poussée des moteurs sur lesquels s'appuient actuellement les hypothèses de travail est de l'ordre de 40t (400 kN exactement) et que les véhicules seraient équipés de six moteurs, la masse du lanceur au décollage serait d'environ 340t, soit approximativement celle d'un Boeing 747 de la première génération avec son plein de passagers. En revanche, leur capacité en passagers sera de 300 environ, soit la capacité d'un DC-10 ou d'un Tristar. Reste à savoir si ces merveilles technologiques seront commercialement viables.

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  1. Les moteurs à cycle variable sont des turboréacteurs capables de fonctionner en version double flux durant le décollage et pendant la phase subsonique du vol, d'ou une économie considérable de carburant ainsi qu'un bas niveau sonore, compatible avec les réglementations protégeant les riverains des aéroports et les habitants des agglomérations limitrophes. Au delà de ces zones, le MGV fonctionne comme un réacteur monoflux, plus efficace en vol supersonique, à l'image de l'Olympus dont est doté Concorde. Pour plus de détails, (voir Superconcorde à la rescousse !, Science & Vie, n° 858), et (voir Deux Français inventent le réacteur de l'an 2000, Science & Vie, n° 866).
  2. Par extension, on classe aujourd'hui les MCV aussi dans cette catégorie.
  3. Plus généralement, à très haute latitude, l'air n'existe plus sous forme moléculaire, mais sous forme atomique. C'est-à-dire que ses différents constituants ne sont plus regroupés en molécules, mais dissociés en atomes d'oxygène, d'azote, d'argon, de krypton, de xénon, etc. Par conséquent, la viscosité de l'air et donc ses états, d'écoulement ne sont plus les mêmes. Resultat : les équations classiques de la mécanique du vol, du comportement des carburants lors de la combustion et de la tenue des structures de l'avion sont différentes, et pour l'instant mal maîtrisées.
  4. (voir Les lanceurs du XXIe siècle, Science & Vie, n° 859).
  5. Le mode stato ne peut fonctionner dès le décollage, puisque, dépourvu de turbine et de compresseur, il ne peut aspirer ni comprimer l'air admis ; en revanche, lorsque l'avion a pris de la vitesse (ici Mach 3), peut alors entrer en action.
  6. Dans ces recherches, l'ONERA joue le rôle d'expert. En effet, l'office a accumulé, il y a une vingtaine d'années, une solide expérience en matière de combustion supersonique, notamment lors de la campagne d'expérimentation ESOPE en 1964. Dès 1964, l'ONERA a fait voler un véhicule expérimental, le Stataltex, à Mach 5 et 35000m d'altitude.

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Moteurs combinés : quatre idées pour le XXIe siècle

Voici, très schématiquement décrites, les quatre principales directions de recherche d'un avion de transport hypersonique capable de décoller d'une piste ordinaire. A ce stade, il s'agit de vérifier la validité d'un certain nombre de choix technologiques et de résoudre les problèmes qu'ils peuvent poser, par exemple quant au comportement des matériaux face aux fortes températures dues au frottement, écoulement des fluides aux vitesses très élevées, etc.

Une fois qu'un appareil de démonstration aura été testé avec succès, il pourra ensuite conduire à différentes retombées : lanceur spatial monoétage, véhicule de transport hypersonique, avion de reconnaissance militaire, etc.

On notera, dans les quatre moteurs qui suivent, que la notion d'anaérobie qualifie une combustion utilisant l'oxygène de l'air, et celle d'anaérobie, une combustion ou l'oxygène est embarqué sous forme liquide.

  1. Le moteur fusée-statoréacteur. L'avion décolle en mode fusée (à hydrogène et oxygène liquides embarqués), car le stato, dépourvu de compresseur et ne pouvant donc aspirer lui-même l'air dont il a besoin, ne peut fonctionner qu'à partir de Mach 3. Autour de cette vitesse, le moteur cesse progressivement de fonctionner en mode fusée - la chambre de combustion est constituée d'une quinzaine de mini-éjecteurs, qui s'éteignent les uns après les autres -, et le statoréacteur s'allume. La chambre de combustion stato brûle alors l'hydrogène grâce à l'oxygène de l'air atmosphérique admis. Jusqu'à Mach 6/7, la vitesse des gaz dans la chambre de combustion est subsonique (Mach 0,4 environ). A mesure que la vitesse de l'avion augmente, cet écoulement devient supersonique. Vers Mach 15/18, le moteur se remet en mode fusée et va ainsi jusqu'à atteindre Mach 25.
  2. Le turbofusée stato-fusée. Dans la partie turbofusée, la chambre de combustion secondaire est alimentée par un minigénérateur de gaz qui y injecte un mélange d'hydrogène et d'oxygène (embarqués sous forme liquide, et regazéifiés par le générateur). L'expansion des produits de cette combustion fait tourner une turbine, qui à son tour entraîne un compresseur. Celui-ci comprime l'hydrogène en excès sortant du minigénérateur et l'injecte dans la chambre de combustion principale. L'avion arrive ainsi à Mach 2,5/3. L'air atmosphérique est alors suffisamment comprimé à l'admission pour que le statoréacteur (qui est, rappelons-le, dépourvu de l'ensemble turbine-compresseur) puisse être lancé. Il emmène l'avion jusqu'à Mach 6/7, pendant que le compresseur, qui n'est plus utile, tourne en roue libre. On peut envisager d'escamoter ce compresseur, auquel cas il n'y aurait plus de problème de température excessive sur les aubes de celui-ci. L'avion a atteint entre-temps une altitude de 50000 mètres environ : le moteur passe en mode fusée, puisque le stato ne peut plus fonctionner à cause de la grande raréfaction de l'air atmosphérique à cette altitude. Hydrogène et oxygène embarqués sont alors brûlés dans une chambre de combustion axiale.
  3. Le turbo expander-stato-fusée. L'hydrogène liquide embarqué passe ici dans un échangeur situé au milieu de la chambre de combustion, se réchauffe et devient gazeux. Cet hydrogène gazeux, qui a récupéré de l'énergie dans l'échangeur, se détend sur une turbine, laquelle entraîne un compresseur. La suite du fonctionnement est analogue à celui du turbofusée-stato-fusée.
  4. La fusée à liquéfaction d'air. Au décollage, le moteur fusée brûle de l'hydrogène avec de l'oxygène, tous deux embarqués sous forme liquide. Lorsque la vitesse - et donc la masse d'air admise - est suffisante, un échangeur de chaleur liquéfie l'air atmosphérique capté à l'admission. La chaleur cédée à l'échangeur sert à gazéifier l'hydrogène liquide embarqué. Celui-ci, en se détendant, entraîne une turbine, qui actionne à son tour une turbopompe. Ensuite, l'hydrogène gaz brûle dans la chambre de combustionen présence d'air injecté par la turbopompe. Au-delà de Mach 10, à l'altitude ou se trouve l'avion (50000 mètres), il n'y a plus assez d'air extérieur ; le moteur fusée est alimenté par l'oxygène liquide embarqué et emmène l'avion jusqu'à Mach 25.

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Boom sur le double bang : le retour des hypersoniques

Il y a six ans, l'annonce par le président Reagan, dans le cadre du programme NASP, des projets de navette transatmosphérique et d'avion hypersonique Orient Express a relancé les recherches en matière de propulsion hypersonique. Depuis, un projet d'appareil de démonstration X-30 financé conjointement par le Pentagone et la NASA a été lancé, mais le secret qui l'entoure ne permet pas de juger de son état d'avancement. Il semble toutefois que son coût s'élève à 6 milliards de dollars (33 milliards de nos francs), dont près de la moitié ont déjà été dépensés. Cinq mille spécialistes seraient mobilisés par ce projet.

De l'autre côté de l'Atlantique, les Britanniques ont lancé le projet Hotol et annoncé qu'ils possédaient - sur le papier du moins - deux moteurs révolutionnaires, le RB 545 Swallow et son dérivé, le Satan. Ce dernier a été étudié par l'ingénieur Alan Bond, qui attend avec une impatience difficilement contenue que le ministère de la Défense l'autorise à développer son programme. Ces deux projets restent couverts par le secret.

Les Russes ont aussi révélé l'an dernier un projet d'avion d'affaires supersonique qui prouve que, malgré des retards importants liés à l'absence de gros ordinateurs, ils disposent en ce domaine d'une expérience qui pourrait faire d'eux des partenaires précieux pour un constructeur occidental, en l'occurrence l'américain Gulstream Aerospace. La réussite commerciale d'un tel projet semble toutefois peu probable.

Restent les Japonais et les Allemands. Les premiers espèrent acquérir le savoir faire technologique qui leur fait défaut en matière de propulsion, grâce à des accords de coopération. Pour convaincre leurs partenaires potentiels, les Japonais n'hésitent d'ailleurs pas à mettre en avant les moyens financiers de leur MITI (organisme qui remplit le rôle de ministère du Commerce extérieur) ou du NEDO... Leur programme de recherche dans le domaine des moteurs combinés s'élève à six milliards de yens répartis sur une quinzaine d'années. Quant aux Allemands, Deutsche Aerospace, et plus particulièrement MBB et le motoriste MTU, leur permet de s'annoncer comme de sérieux candidats pour la motorisation des futurs programmes hypersoniques.

Enfin, la France occupe une place honorable dans la mesure ou la maîtrise des technologies du moteur combiné implique pour le motoriste d'être présent simultanément non seulement dans le domaine des moteurs civils et militaires, mais également dans celui des propulseurs spatiaux. Un atout que possède la SNECMA, avec une gamme étendue de turboréacteurs subsoniques et supersoniques, et la SEP qui construit les moteurs principaux du lanceur européen Ariane. D'ou la naissance du groupement du GIE Hyperspace qui leur permettra de réunir leur savoir-faire.